
Nouveau rebondissement dans le projet d’usine de freins de carbone de Safran. Après avoir repoussé de deux ans – en octobre 2022 – la décision d’investir à Feyzin (Rhône), le motoriste et équipementier met clairement en balance le scénario français avec des alternatives étrangères. «Nous allons regarder des options en Amérique du Nord, et notamment aux Etats-Unis et au Canada, mais aussi toujours en France», a affirmé Olivier Andriès, le directeur général du groupe français, vendredi 22 septembre, à l’occasion d’une rencontre avec la presse organisée à Paris par l’Association des journalistes aéronautiques (AJPAE). L'industriel tranchera entre fin 2024 et début 2025.
L’enjeu est de taille : ce projet, lancé en 2019 et devant initialement aboutir en 2025, représente 250 millions d’euros et près de 200 emplois à terme. Symbole alors de la réindustrialisation au plus haut niveau de l’Etat, cette usine – dont l’ouverture ne s’effectuera quel que soit le site choisi pas avant 2028 au plus tôt – doit permettre à Safran d’augmenter ses capacités pour ces pièces critiques des trains d’atterrissages des avions. Et ce grâce à trois usines qui tournent déjà à plein régime, basées à Villeurbanne (Rhône), Walton (Kentucky, Etats-Unis) et Sendayan (Malaisie). Problème : l’énergie représente 40% des coûts de production des disques de frein carbone, le gaz servant par ailleurs de matière première.
Des critères de durabilité
«Le critère numéro un, c’est d’avoir une énergie compétitive, a rappelé Olivier Andriès. Il est hors de question de partir sur un schéma industriel avec une énergie non compétitive. Le prix de l’électricité en France a été multiplié par cinq entre 2019 et 2023, c’est d’ailleurs pour cela que le projet a été mis en pause. En France, les prix de l’électricité et du gaz sont encore très loin des niveaux d’avant-crise. Or aux Etats-Unis et en Asie, les prix sont stables.» Des prix de l’énergie tirés vers le haut, comme ceux de certaines matières premières essentielles à l’aéronautique telles que le titane et l’acier, qui génèrent par ailleurs de fortes tensions dans la chaîne d’approvisionnement.
Mais la compétitivité de l’énergie ne représente pas l’alpha et l’oméga pour ce futur investissement. «Cette électricité doit aussi être décarbonée, a martelé Olivier Andriès. Nous avons pris des engagements pour réduire de 50% nos émissions de CO2 dans le cadre des scopes 1 et 2 qui concernent l’ensemble de nos opérations. Or ces usines de freins carbone sont un élément essentiel pour atteindre ces objectifs.» Et le dirigeant de préciser que Safran bénéficie déjà d’une électricité décarbonée pour son site américain de freins carbone. Idem au Canada : les deux usines du groupe – qui ne produisent pas de freins carbone – basées à Montréal et Toronto sont approvisionnées grâce à l’énergie hydraulique avec un prix de 45 euros le MWh, contre le double en France aujourd'hui.
Une savoir-faire historique pour Safran
Troisième élément crucial selon le dirigeant de Safran : le modèle économique de cette quatrième usine de freins carbone ne doit pas être mis par terre par une trop forte volatilité des prix de l’énergie. «En Europe, le tarif de l’électricité est toujours indexé sur celui du gaz, a expliqué Olivier Andriès. Or quand vous investissez des centaines de millions d’euros dans une usine dont les coûts de production dépendent à 40% des prix de l’énergie, vous voulez avoir une certaine assurance et une certaine visibilité sur ces prix.» D’où l’exigence aujourd’hui affirmée haut et fort : Safran souhaite pouvoir passer un contrat de long terme d’approvisionnement de gaz et d’électricité sur 10 ans.
«On met sur la table toutes les options et on prendra la meilleure, car à la fin des fins, nous sommes sur un marché mondial», a résumé le directeur général de Safran. Le choix même de Feyzin est par ailleurs compromis, la presse locale ayant précisé que la métropole de Lyon compte désormais y implanter un "village d'entreprises écocirculaire". Mais selon Safran, l'option française pour le nouvelle usine resterait bien au nord de Lyon.
Aujourd’hui, le groupe revendique environ 55% de parts de marché des disques de freins carbone sur le segment des avions commerciaux de plus de 100 places, devant l'américain Collins Aerospace (RTX, ex-Raytheon Technologies). Safran a introduit dans l’aéronautique cette technologie issue du spatial dans les années 80 et équipe entre autres les Airbus A320, A330 et A350, mais aussi le Boeing 787. Alors que le groupe produit chaque année entre 1500 et 1700 tonnes de carbone par an, la nouvelle usine doit lui faire passer le cap des 2000 tonnes sur fond d’augmentation des cadences de production d’avions.
Référence: https://www.usinenouvelle.com/article/pourquoi-la-future-usine-de-safran-prevue-pres-de-lyon-pourrait-finalement-atterrir-aux-etats-unis-ou-au-canada.